Analyse
19.11.2025
Par
Martin Lafréchoux
La première Start-up Nation, c’est pas la France, c’est Israël. Depuis sa création, l’État hébreu développe des technologies militaires ultra-modernes, qu’il teste en mode « grandeur nature » sur des Palestiniens… avant de les exporter dans des régimes autoritaires, mais aussi vers l’Union Européenne. Autrement dit : leur présent, c’est notre futur.

Depuis de (bien trop) longues années, Gaza et sa population sont soumis à un contrôle qui se veut absolu, et qui y parvient plutôt bien : frontières militarisées, drones qui peuvent frapper à tout moment, surveillance numérique permanente, « sécurité » draconienne déléguée à des entreprises privées… Ces systèmes de domination ultra-modernes sont issus des fleurons de la start-up nation israélienne. Car depuis sa création, l’État d’Israël a eu l’ambition de se doter d’une industrie de l’armement de pointe. Pour soutenir ce développement considéré comme stratégique, les dirigeants israéliens successifs ont fait de leur pays un grand exportateur d’armes – le 9e mondial en 2023, armes parmi lesquelles des drones à longue portée, des systèmes de défense aérienne, ou encore des outils de hacking comme Pegasus…. Bref, du high-tech létal.

La première start-up nation

Comme on pourrait s’en douter, les armes et systèmes ultra-modernes sont développés par des entreprises étroitement liées à l’armée. Les start-ups sont presque toujours fondées par d’anciens officiers, notamment ceux issus d’unités prestigieuses comme « l’unité 8200 », chargée du renseignement numérique (en gros l’équivalent israélien de la NSA américaine). C’est d’ailleurs notamment pour désigner ce pipeline entre l’armée (publique) et le secteur de la tech (privé) que Dan Senor et Saul Singer avaient inventé l’expression « start-up nation » dans un livre de 2009. 

Le dernier pilier de ce système bien rôdé, c’est Gaza, dont la population sert de cobaye. Les armes et dispositifs de surveillance israéliens y sont testés et peaufinés, avec l’objectif de soumettre sur une population jugée dangereuse et irrécupérable. Dans son livre The Palestine Laboratory, le journaliste Anthony Loewenstein raconte par exemple comment Elbit Systems, le géant israélien de l’armement, n’hésitait pas à montrer à des acquéreurs potentiels sur le salon du Bourget en 2009 des images d’un « assassinat ciblé », filmées par son drone à Gaza. La domination exercée sur la population de Gaza se transforme alors en argument de vente : les armes sont vendues comme « testées sur le champ de bataille » à des régimes autoritaires (mais pas que). Ceci étant dit, Israël n’est évidemment pas seul dans ce cas : la France, troisième pays exportateur d’armes au monde, équipe aussi volontiers les dictateurs. 

Des frontières impénétrables

Avant tout, Gaza et ses frontières servent de terrain d’expérimentation pour les techniques de pointe en matière de construction et de surveillance. En 2018, le ministère de la défense israélien avait fièrement dévoilé son plan pour parfaire le blocus maritime de Gaza, jusque-là assuré par une flotte militaire : trois enceintes concentriques, en pierre et en barbelés et en métal, établies sur la mer – du bel ouvrage. Une expérience qui s’est directement traduite en contrats à l’étranger : avant même le mur de Donald Trump, l’entreprise israélienne Elbit avait installé ses tours de surveillance de pointe à la frontière américano-mexicaine, pour un montant de plus de 500 millions de dollars. 

Hermes 900 de Elbit Systems

Les fortifications et les miradors se doublent d’un contrôle technologique qui a lui aussi une ambition panoptique. Depuis le retrait militaire de la bande de Gaza, en 2007, l’occupation israélienne a cédé la place à un contrôle indirect de la population, avec une sous-traitance de plus en plus fréquente à des sociétés de sécurité privée high-tech. L’avantage ? L’armée n’est plus en responsabilité directe et masque son inhumanité en deshumanisant son rapport à la population. La société AnyVision (devenue Oosto), par exemple, est un pionnier de la vidéosurveillance algorithmique qui équipe notamment de nombreux casinos du monde. Sa technologie a été entraînée sur les données biométriques de Palestiniens, captées par les caméras équipant les dizaines de checkpoints de la bande de Gaza. Parallèlement, toutes les communications sont écoutées et tous les habitants fichés, avec des outils assez semblables à ceux utilisés par le gouvernement chinois pour écraser ses propres minorités – le tout en collaboration étroite avec des sociétés occidentales comme Microsoft (qui a, depuis, retiré sa participation au projet). Ficher, surveiller, déshumaniser… et appeler ça la paix.

Israël exporte sa vision de la sécurité

En fait, plus encore que ses armes, c’est sa conception de la sécurité qu’Israël a exporté chez ses alliés (qui n'ont pas été trop difficiles à convaincre) : l’idée que les démocraties parlementaires sont assiégées par des barbares et gangrenées par des ennemis de l’intérieur, et que le seul moyen de s’en préserver est d’exercer sur eux une domination totale. Ça explique d'ailleurs que des mouvements européens d’extrême-droite, pourtant traditionnellement antisémites, soient devenus parmi les soutiens les plus inconditionnels d’Israël en Europe. 

De son côté, l’Union européenne se flatte toujours d’être la championne des droits humains, mais ça n’empêche pas Frontex, l’agence chargée du contrôle de ses frontières, d’utiliser des drones israéliens pour repérer les embarcations de migrants en Méditerranée – en théorie pour pouvoir les secourir, en pratique pour envoyer les garde-côtes libyens faire leur sale boulot (la communication se fait par WhatsApp, ce qui permet de dire qu’il n’y a pas eu de « contact officiel » – bien sûr). Ici aussi, la médiation technologique et la sous-traitance créent une perception déshumanisée des migrants, qui justifie à son tour la domination exercée sur eux. Bis repetita

Terroristes partout

En France, Israël a souvent été cité en exemple pour ses réussites en matière de lutte contre le terrorisme, par exemple par l’ancien ministre des Armées Hervé Morin, qui a déclaré en 2018 que « la France doit s'inspirer de l'internement préventif israélien », ou encore le maire de Cannes David Lisnard, ou encore par un conseiller de Manuel Valls, alors premier ministre. C’est aussi le succès économique de l’industrie israélienne de la sécurité qui excite bien des convoitises en Europe. La start-up nation française est certes moins rodée que sa version israélienne, mais les quelques succès de la French Tech proviennent souvent des technos de surveillance (XXII, Orasio), et des secteurs adjacents comme l’ad-tech (Criteo). Ici aussi, au nom de la sécurité, beaucoup de gens gagnent beaucoup d’argent. C’est aussi ce qui explique le déploiement à marche forcée de technologies pas franchement efficaces, comme la vidéosurveillance algorithmique, mais dont les promesses de contrôle sont difficiles à refuser.

C’est tout cela qui se joue quand Gérald Darmanin parle d’écoterroristes ou d’ultragauche pour désigner les militants anti-bassines, et qu’il se propose lui aussi de mobiliser tous les moyens modernes de maintien de l’ordre – gendarmes équipés d’armes « non-létales » mais qui mutilent fréquemment, fichage, drones policiers, surveillance totale des communications électroniques. Et on en passe.

La surveillance au service de la guerre

Depuis le début de la guerre actuelle, Israël mobilise ses systèmes de contrôle pour son offensive meurtrière. Les frontières de Gaza sont complètement fermées et affament la population. En juillet 2025, le journaliste israélien Yuval Abraham révélait dans +972 Magazine que l’armée israélienne utilisait des drones légers pour larguer des grenades sur des passants, pour les forcer à évacuer. La fascination des gouvernements européens pour le modèle israélien de sécurité devrait nous inquiéter. Car, finalement, fermer les yeux sur ce qui se passe à Gaza depuis des décennies, c’est aussi fermer les yeux sur ce qui nous attend tous, si nous ne faisons rien. 

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