
Fin 1997. La COP 3 réunit à Kyoto des dizaines de représentants nationaux venus des quatre coins du globe. L’évènement se termine par la signature du fameux protocole de même nom, dont l’ambition affichée est de réduire d'au moins 5% les émissions de gaz à effet de serre des plus grands pays émetteurs à travers le monde. Bon, vous en connaissez probablement l’issue : les résultats ne sont pas (du tout) à la hauteur des enjeux et les ambitions louables sont très rapidement balayées par la force des lobbies et des deux principaux mauvais élèves de l’époque (les États-Unis et le Canada). Qu’à cela ne tienne : au même moment, un petit éditeur de jeux vidéo japonais est en train d’œuvrer dans l’ombre pour confectionner un ovni ludique qui va révolutionner l’industrie du gaming et… notre perception de l’écologie badass par la même occasion.
Édité par Square Soft, petit studio japonais (devenu quelques années plus tard Square Enix), Final Fantasy se révèle être une saga unique. Après plusieurs épisodes mettant en scène des mondes médiévaux dignes de Game of Thrones et empreints d’heroïc fantasy, de mondes fantasmagoriques peuplés de dragons, d’elfes, de mages et d’épées sacrées, le septième volet arrive, pour plusieurs raisons, à une période charnière de l’évolution technologique de l’industrie du gaming. C’est le premier épisode de la série à sortir sur PlayStation, et contrairement aux cartouches de la Nintendo de l’époque, la console Sony et son stockage de jeux sur CD-Rom permettent à l’éditeur d’expérimenter et de proposer un jeu bien plus complet et dense que les précédents volets. Et ce n’est pas tout : sur ce septième opus, l’effort scénaristique est décuplé. Ce n’est pas pour rien que Final Fantasy est considéré comme « le Star Wars du jeu vidéo », tant il recèle de différents mondes, de personnages et de situations complexes à mille lieux des structures caricaturales et binaires des jeux vidéo plus classiques à la Super Mario Bros.

Il y a quelques années, Le Monde revenait sur la genèse de la série, dont la légende raconte « qu'elle tient son nom de la situation financière précaire de son éditeur japonais, Square, durant le développement. Hironobu Sakaguchi, son créateur, l'intitule Final Fantasy, "la dernière fantaisie", persuadé que la société ne lui survivra pas. » Mais le créateur du jeu se fourre le doigt dans l’œil : en l’espace de quelques jours, des millions d’exemplaires s’écoulent, d’abord au Japon, puis aux États-Unis et dans le reste du monde. Un carton exceptionnel, vu qu’il est à la fois critique et commercial. Il n’y a qu’à faire le tour des forums en tout genre : FF7 est un petit bijou considéré comme l’un des meilleurs jeux des années 2000, voire l’un des meilleurs jeux vidéo de tous les temps, tous genres confondus – que ce soit en termes de graphisme, de musique, de gameplay ou encore de scénario. Et justement : si l’accueil est aussi phénoménal, c’est notamment grâce à l’histoire racontée…
Jeu de rôle japonais (JRPG), FF7 vous plonge dans la peau de Cloud Strife, jeune mercenaire engagé pour aider une organisation appelée Avalanche. L’objectif de l’ONG est de combattre l'infâme Shinra Electric Power Company – une multinationale qui produit de l’énergie « Mako » en puisant l’énergie spirituelle du « lifestream » de la planète Gaïa. Certes, pour des novices ce n’est pas forcément très clair, mais imaginez en gros que le héros et son équipe doivent sauver la planète, aux mains de méchants pollueurs qui pompent ses ressources naturelles. Justement, la première mission de Cloud est d’atteindre l’un des réacteurs de la multinationale énergétique et de le faire… exploser, tout simplement !
Vous l’aurez compris : derrière ce qui pourrait s’apparenter à un RPG tout à fait classique, se cache un sous-texte hautement symbolique : la Shinra représente bien évidemment les grandes multinationales des énergies fossiles (d’ExxonMobil à TotalEnergies en passant par BP ou Chevron), et nos chers combattants de l’organisation Avalanche, eux, sont les cousins des Soulèvements de la Terre et d’Extinction Rebellion. À cela près que, malgré ce qu’on entend ici et là, les mouvements cités sont loin d’être écoterroristes, tandis qu’Avalanche va quant à elle un cran plus loin en faisant sauter les infrastructures. Forcément, il faut ce qu’il faut pour sauver Gaïa d’un saccage organisé à grande échelle. Oui, vous avez bien lu : Avalanche est un groupe d’écoterroristes, et il y a vingt-sept ans, des millions de jeunes adultes ont passé des dizaines d’heure devant leur écran à vivre leurs aventures. Et parmi eux, qui sait, Gérald Darmanin ?
Tel Virgil Solal dans le roman Impact d’Olivier Norek, le héros de Final Fantasy 7 n’est pas n’importe qui. Ancien mercenaire, Cloud Strife a été employé par la Shinra pour faire le sale boulot. Désormais repenti, il espère se faire un peu d’argent en collaborant à cette mission – au départ, il est donc bien loin d’être guidé par la juste cause, au contraire. Pourtant, petit à petit, il va lui aussi prendre conscience du non-sens auquel il a lui-même participé. Après avoir fait exploser un premier réacteur, Cloud se retrouve plongé dans les bas-fonds de Midgar. Naviguant entre différentes représentations du futur et piochant ses inspirations autant du côté d’Akira que de Blade Runner, Final Fantasy nous plonge au sein d’une immense cité industrielle, à moitié cachée par les réacteurs, qui soutiennent une plaque suspendue à 50 mètres du sol. Si les quartiers riches se trouvent en haut, les pauvres sont sous la plaque, le nez dans la terre, respirant l’air pollué des réacteurs avec très peu d'occasions de voir la lumière du jour.

« Tout s'effondre de part en part et devient de pire en pire... » dira Cid, l’un des personnages. Porté par son sous-texte écolo et avec des accents clairement collapsos, le jeu met le doigt sur la dissonance des sociétés occidentales, qui n’arrivent pas à sortir la tête de leur mantra technosolutionniste. Comme les grands pollueurs qui existent dans la vraie vie, la Shinra justifie son activité par la demande du peuple, lui permettant d’avoir un certain confort, de créer de l’emploi… Pourtant, la multinationale fictive est loin de se préoccuper véritablement du sort des habitants de Gaïa, qu’elle exploite sans sourciller.
Si c’est sans doute moins par l’approche écologique que par la qualité intrinsèque de son scénario que « le Star Wars des jeux vidéo » a conquis les foules et convaincu autant de gamers de par le monde, son positionnement avant-gardiste et le traitement ludique d’un sujet bien sérieux (la destruction organisée de l’environnement) sont particulièrement passionnants. Plus de vingt ans après sa sortie initiale, la publication d’un remake en 2020 permettra aux créateurs à l’origine du jeu de s’exprimer sur le sujet : « La façon de penser des gens a beaucoup changé entre 1997 et 2021, mais l’écologie et “la vie de la planète” sont une problématique intemporelle, quelle que soit l'époque à laquelle nous vivons. J'espère que tous les joueurs pourront réfléchir à ses sujets et y être sensibilisés, vu qu’ils y sont confrontés à travers l'histoire de Final Fantasy VII » a expliqué Yoshinori Kitase, réalisateur du jeu, au média américain The Gamer.
Spoiler alert : une fois accompli, le jeu nous propose un épilogue qui nous projette 500 ans dans le futur. On retrouve les ruines de Midgar et les déserts alentours désormais envahis par la végétation. À mi-chemin entre Jurassic Park, Avatar et un animé de Hayao Miyazaki, cette vision du futur, naïve mais enthousiaste dans laquelle la nature reprend ses droits, démontre que le message originel des créateurs du jeu était sans appel. Si nous continuons ainsi, ce n’est pas la planète, mais l’espèce humaine qui disparaîtra.
En attendant, il est encore temps d’agir. Comme dirait dans le jeu le jeune mercenaire Cloud : « Si tout ça n'est qu'un rêve, ne [nous] réveillez pas ! ».